Aujourd'hui ma table I et II (décembre 2024)

I (Paroles de l'hémisphère droit)     et
II (Propos de l'hémisphère gauche)

CRITIQUES



Variations sur un instrument de travail en guise d'art poétique

Quoi de plus évident qu'un poète décrive son travail en utilisant des figures de style. Ainsi, Jean-Luc Godard choisit- il la table sur laquelle il écrit comme la métonymie de son usage de la langue. À partir de ce meuble banal, il a décidé d'user aussi de l'anaphore en prenant pour vers initial cette phrase : « Aujourd'hui ma table » pratiquement pour tous les poèmes.

C'est dire que ce mobilier très ordinaire possède pour lui une importance essentielle. Qui l'obsède. Qui l'incite à une exploration multiple, qui lui suggère des thèmes. Mais c'est également signaler que c'est une même musique vocale qui donne en quelque sorte le 'la' de toutes les partitions qu'il nous offre.

La musique, en effet, tient une place considérable dans ce recueil. Il est question de « dénicher / la musique absolue / de l'oiseau libre ». Pour cela, évocation d'abord par référence aux instruments (piano, flûte, guitare, tambour, lyre ou luth, orgue, cuivres, cordes, claviers) et aux pratiques (vocalise, chant, danse, mélodie, bémols). Il arrive que le meuble « miaule » plusieurs fois cherchant « dans quel sens / chantent- ils mieux / les mots » ?

La démarche du poète se révèle peu à peu. Comme il pratique un vers libre non lié à une rime systématique, Godard profite de la sonorité des vocables afin de leur permettre de chanter tels qu'ils sont, tels aussi qu'ils recèlent en s'acoquinant entre eux. Il s'agit souvent d'une homophonie qui fonctionne à la façon d'un écho ou d'un miroir légèrement déformant : « chant délié / du chandelier ».

Mais le jeu s'amuse aussi à parfois décaler une sonorité : « étoile / toile élue » ou «Trahie tarie » quasi à la façon des anagrammes. Plus subtil, il s'empare de mots à phonèmes identiques mais appartenant à une autre catégorie grammaticale, par exemple, un substantif et un verbe « Ma table / table peu » ou « livre le livre ».

En réalité, le rôle d'un poète, cet « oiseleur de mots », est de faire en sorte « que les mots / s'accouplent / t'enfantent ». Pour ce, l'écrivain doit « pactiser / avec tous les mots », profiter que « les mots aux abois / s'ameutent / s'ameublissent / s'ensemencent ».

La table est un prétexte, un vocable qui « se dit stable », qui se métamorphose en quittant l'ordinaire de telle manière qu'il « se retable ». Jean-Luc Godard nous le confie : « indices de l'indicible / mes mots / échafaudent une autre / vie ». Sans nul doute, la poésie amène à « émonder / le monde », à « s'inventer l'infini ».

Michel VOITURIER
Activités - Comptes-Rendus - AREAW
(Association Royale des Écrivains et Artistes de Wallonie-Bruxelles)
A paraître dans 
Reflets Wallonie-Bruxelles 

Constitué de deux sections, ce recueil est l'amplification d'un livre de poèmes paru en 2022, sous le même titre anaphorique.

Dévidant les "paroles" de sa vie quotidienne, le poète assigne au poème un double rôle, celui de catalyseur de ses émotions et celui d'outil de sa propre écriture.

Cela nous vaut un ensemble subtil, véritable reflet des faits, des gestes, des impressions, des constats qui peuvent fournir table ou paysage.

Les poèmes brefs renseignent sur les préoccupations d'un auteur sensible à la marche du monde, apte à jouer des mots pour faire d'une "rivière" une "rizière".

La table est multiple, polyvalente, polysémique, elle "se morfond", "mutine", "joue sur les mots", "me gratifie/ de ses graffitis".

Le poète joueur sait se moquer de lui-même et de sa fabrique de poèmes ("je patine mieux/ les mots").

Voilà un recueil très libre, ouvert et léger.

Philippe Leuckx,  
Poète, critique, il collabore à de nombreuses revues littéraires francophones (Belgique, France, Suisse, Luxembourg) et italiennes. 
(NOS LETTRES n°53 Mars 2025) 
(revue de l'AEB (Association des écrivains belges de langue française)


J'ai lu (sachant déjà que ce sera à relire) la partie 2 , Propos de l'hémisphère gauche, et j'y trouve les mêmes plaisir et intérêt qu'en 2022 à la lecture de la première partie.

Beaucoup d'introspection, de réflexion sur soi, de recherche de l'essentiel.

C'est toujours très finement dit, et la rencontre avec le lecteur se fait immanquablement.

Martine Rouhart, 
Romancière et poète. Contribue à des ouvrages collectifs et à des revues littéraires. Présidente de l'Association des Ecrivains Belges (AEB)


Le livre, rehaussé par la judicieuse préface de Christian Libens et les admirables lectures picturales d'Anne-Marielle Wilwerth, est de toute beauté (la couverture est particulièrement réussie).

Les mots sonnent comme une célébration de ce qui est, devient sans cesse et vibre au son de l'univers. Mieux, les mots sont ceux de quelqu'un curieux de vivre et soucieux de rechercher le secret que la nature dissimule derrière le voile des apparences.
Bref, chaque poème sonne comme une méditation profonde sur le mot, le monde et l'écriture.

Si dans la seconde partie, le poète joue encore davantage avec les mots, il continue de célébrer le simple fait d'être vivant, la poésie, l'amour total, tout en n'oubliant pas d'évoquer la difficulté d'être.

A travers ses textes, on navigue au plus près de soi et du monde (se faire silencieux, vivre, aimer, écrire sont des actes qui n'en font qu'un seul).

Sa poésie éveille à une vie plus large, célèbre les beautés offertes, questionne ce qui est, porte en elle l'énergie et le mystère de la vie, essaime des traces et sonde le réel pour en faire connaître les souffles invisibles…

Pierre Schroven,
Poète et critique


Je me suis donc étendue sur la table, et celle-ci m'a happée en profondeur.
Alors voici mes réactions, impressions.

Dimension très sonore, rythmique.
Economie : pas de bavardages.
Chaque poème semble couler de source : c'est-à-dire du noyau profond du poète, de son âme.
Cela ricoche directement sur la vie intérieure du lecteur. Nos vies, avec des nuances, des gammes tellement changeantes et diversifiées ! Et cela aiguise notre attention à cette intériorité.

Donc contenu profond, sous des airs légers… et quasi éthérés !

On ressent fortement l'intensité de l'acte d'écriture.
Puis ces jeux de langage, mais jamais gratuits…

(Evelyne Wilwerth)
Ecrivaine (roman, nouvelle, théâtre, essai) et animatrice d'ateliers d'écriture. Ecrit des livres pour enfants.


On n'a qu'une envie à chaque page, c'est bien de s'asseoir, de communier et de vivre ailleurs que chez soi-même le temps d'un livre.

(Jean-Luc Geoffroy)
Poète, auteur de contes et de nouvelles.


Excellente idée que ces textes critiques regroupés en fin de volume : il soulignent avec pertinence diverses facettes d'une poésie, qui assurément n'est pas cérébrale ou désincarnée...

Daniel Laroche
Collaborateur scientifique du centre de recherche « Écriture, Création, Représentation » de l'UCLouvain. Nombreuses études sur la littérature française de Belgique, le verboludisme, la poésie, etc.
Collabore régulièrement aux périodiques Textyles, Le Carnet et les Instants.


RETOUR à TABLE

Voici réunies les Paroles de l'hémisphère droit (2022) aux Propos de l'hémisphère gauche. Toujours à sa table et jouant sur la sonorité des mots, le poète laisse voguer son imaginaire, transformant le support de ses rêveries en un être animé de pensées, de désirs, d'émotions, positives ou négatives. Voire doté de la parole et d'un caractère affirmé. Variations tendres et souriantes autour d'un objet du quotidien.

Michel Paquot,
Journal L'Avenir du 18-02-2025


Les deux parties d'Aujourd'hui ma table réunies en un volume agréablement présenté.

Plus encore que dans la première partie, j'y ai apprécié une phrase virevoltante, captivante, inspirante, douée de sève et de fantaisie.

Georges Jacquemin,
poète, essayiste, auteur du Dossier L sur Jean-Luc Godard


Un très beau recueil qui se déploie de poème en poème autour de la table. Table du mond, table de la vie, table de l'écriture et de la poésie aussi.

Délicat, profond et très sensible !

Alexandra Gerbaut
"la_femme_affamee_de_lectures" · Instagram

J'ai à nouveau admiré comment Jean-Luc Godard fait la part belle à la langue et comment il dirige, d'une baguette suave, l'orchestre du lexique.

J'en ai aimé l'intimité mise en lumière et la discrète musicalité, faite d'allitérations et de silences.
Et aussi cette belle économie des mots qui fait si souvent défaut aux poètes de notre temps.

J'ai parfois pensé, au cours de ma lecture, à François Jacqmin.

J'espère de tout coeur que ce nouveau recueil, plein de poèmes auxquels je prendrai plaisir à revenir, rencontrera les échos - et surtout les lecteurs - qu'il mérite.

Karel Logist,
Poète, Membre de comités de lecture, lauréat de nombreux prix de poésie (Prix Robert Goffin, le Prix Maurice Carême, le Prix Jeune Talent de la Province de Liège, le Prix du Parlement de la Communauté française et le Prix Marcel Thiry.)


LES LECTURES d'ÉDI-PHIL n°56 (JUILLET 2025) : COUP DE PROJO SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES

Mon temps étant âprement réparti entre divers sillons de vie en lettres (création, médiation et édition), je ne rubrique pas, par principe, des recueils qui me sont envoyés, ma règle étant d'éviter tout gaspillage, de solliciter tel ou telle, que je souhaite découvrir, relire.

Qui plus est, j'écartais aussi toute production d'un éditeur français au centre de mille polémiques, dont les contrats stipulaient jadis qu'ils ne rétribuaient les auteurs qu'à partir du 501e exemplaire vendu, autrement dit quasi jamais. Mais L'Harmattan a changé « positivement » de direction, me dit-on, et toute règle ne peut exister qu'avec exception(s).

Écoutons Jean-Luc Godard (à ne pas confondre avec son homonyme), qui nous est recommandé par un expert des Lettres belges, Christian Libens.

Amusant ou osé : tout un recueil bâti sur… une table, la table de l'auteur, qui le renvoie à divers rapports au monde. Un choix poétique en soi.

Aujourd'hui
ma table s'amarre

non qu'elle soit lasse
des voyages

la corde
se sauve
dans le nœud

ceux
du poème
cristallisent la mer perdue
la promise

les constellations
nos désirs
nos aspirations
nos passions

(…)

Aujourd'hui
ma table est bleue

bleue
de tout ce qui reste à boire
à méditer

il faut du temps
pour exorciser les nuages

tailler nos amulettes
pactiser
avec tous les mots

LES LECTURES d'ÉDI-PHIL n°56 (JUILLET 2025) : COUP DE PROJO SUR LE MONDE DES LETTRES BELGES
Blog de Philippe REMY-WILKIN 
Critique, chroniqueur, et auteur de romans, contes, nouvelles, critique culturelle, études/essais, récits authentiques, scénarios.

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